COLLECTION DE LA MAISON DE L’ORIENT ET DE LA MÉDITERRANÉE 43
SÉRIE LINGUISTIQUE ET PHILOLOGIQUE 6
AUTOUR DE MICHEL LEJEUNE
Édité par
Frédérique Biville et Isabelle Boehm
Autour de Michel Lejeune
Actes des Journées d’étude
MAison de L’orient et de LA MéditerrAnée – JeAn PouiLLoux
(Université Lumière-Lyon 2 – CNRS)
Publications dirigées par Jean-Baptiste YoN
Dans la même collection, Série linguistique et philologique
CMo 7, Ling. 1
L. BASSET, Les emplois périphrastiques du verbe grec μέλλειν,
1979, 245 p.
CMo 20, Ling. 2
L. BASSET, La syntaxe de l’imaginaire. Étude des modes et des
négations dans l’Iliade et l’odyssée, 1989, 264 p.
(ISBN 2-903264-12-0)
CMo 32, Ling. 3
L. BASSET, L’imaginer et le dire. Scripta minora, 2004, 366 p.
(ISBN 2-903264-25-2)
CMo 33, Ling. 4
L. BASSET et F. BIVILLE (éds), Les jeux et les ruses de l’ambiguïté
volontaire dans les textes grecs et latins, 2005, 248 p.
(ISBN 2-903264-26-0)
CMo 41, Ling. 5
F. BIVILLE et D. VALLAT (éds), onomastique et intertextualité
dans la littérature latine, 2009, 236 p.
(ISBN 978-2-35668-006-8)
Autour de Michel Lejeune. Actes des Journées d’étude organisées à l’Université Lumière
Lyon 2 – Maison de l’orient et de la Méditerranée, 2-3 février 2006 / Frédérique BIVILLE et
Isabelle BoEhM (éds). – Lyon : Maison de l’orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux,
2009. – 406 p., 25 cm. (Collection de la Maison de l’orient ; 43).
Mots-clés : linguistique, indo-européen, grec, langues italiques, vénète, grec mycénien, latin,
étrusque, épigraphie, morphologie, phonétique, système numéral.
ISSN 0184-1785
ISBN 978-2-35668-009-9
© 2009 Maison de l’orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux, 7 rue Raulin, 69365 Lyon cedex 07
Les ouvrages de la Collection de la Maison de l’orient sont en vente :
à la Maison de l’orient et de la Méditerranée – Publications, 7 rue Raulin, 69365 Lyon CEDEX 07
http://www.mom.fr/Service-des-publications – publications@mom.fr
et chez de Boccard Édition-Diffusion, 11 rue de Médicis, 75006 Paris
http://www.deboccard.com/ – deboccard@deboccard.com
coLLection de LA MAison de L’orient et de LA MéditerrAnée 43
série Linguistique et PhiLoLogique 6
Autour de Michel Lejeune
Actes des Journées d’étude organisées à
l’Université Lumière-Lyon 2 – Maison de l’orient et de la Méditerranée
2-3 février 2006
édités par
Frédérique BIVILLE et Isabelle BoEhM
hiSoMA - UMR 5189 (CNRS - Lyon 2)
soMMAire
Frédérique BIVILLE et Isabelle BoEhM (Université Lumière-Lyon 2)
Avant-propos .............................................................................................................. 9
Christine BoYER (Bibliothèque Inter-Universitaire LSh de Lyon)
Arrivée de la bibliothèque personnelle de Michel Lejeune à la Bibliothèque
Inter-Universitaire Lettres et Sciences humaines de Lyon (juin 2003) ................... 15
Marie-Josette PERRAT (Bibliothèque Inter-Universitaire LSh de Lyon)
Le fonds Michel Lejeune à la Bibliothèque Inter-Universitaire
Lettres et Sciences humaines de Lyon .................................................................... 17
i - Linguistique grecque et linguistique comparée des langues indo-européennes
Alain ChRISToL (Université de Rouen)
Michel Lejeune et l’étymologie ............................................................................... 21
Françoise BADER (EPhE, Paris)
Le nom des Vénètes et leur expansion..................................................................... 31
Charles DE LAMBERTERIE (Université Paris 4-Sorbonne – EPhE)
En hommage à Michel Lejeune : mycénien o-wo-we
et le nom de l’« oreille » en grec.............................................................................. 79
Louis BASSET (Université Lumière-Lyon 2)
À propos de la nouvelle sifflante sourde forte en grec ancien (M. Lejeune,
Traité de phonétique historique du grec ancien et du mycénien, § 96-97) ............. 117
Catherine DoBIAS-LALoU (Université de Bourgogne)
Retour sur les « traitements grecs de -ns- » ........................................................... 127
Alain BLANC (Université de Rouen)
Langue épique, parler des aèdes et datifs en -εσσι ................................................. 137
Jean-Louis PERPILLoU (Université de Paris 4-Sorbonne)
Le wanax entre actif et moyen ................................................................................ 153
8
SoMMAIRE
Massimo PERNA (Università degli Studi Suor orsola Benincasa, Naples)
Michel Lejeune et la fiscalité mycénienne.............................................................. 169
Florica BEChET (Université de Bucarest)
Sur le genre masculin des plantes légumineuses en grec ancien ............................ 179
Jean-Pierre LEVET (Université de Limoges)
En amont de l’indo-européen : les enseignements eurasiatiques
de J. Greenberg et de quelques vieux hydronymes ................................................. 195
ii - Les langues de l’italie antique
Pierre-Yves LAMBERT (EPhE, CNRS, AIBL)
Michel Lejeune et le défi des inscriptions nouvelles .............................................. 217
La langue étrusque
Dominique BRIqUEL (Université Paris 4-Sorbonne – EPhE)
qu’est ce que la glose TLE 848 = Festus, 162 L (nepos) …
Tuscis dicitur peut nous apprendre sur la langue étrusque ?................................... 237
suivi de
Jacques SChAMP (Université de Fribourg, Suisse)
Pour une étude des milieux latins de Constantinople ............................................. 255
Jean hADAS-LEBEL (Université Lumière-Lyon 2)
L’œnochoé putlumza : un pocolom étrusque ? ....................................................... 273
Gilles VAN hEEMS (Université Lumière-Lyon 2)
Lire, écrire, compter : quelques réflexions et hypothèses sur le système
numéral étrusque en marge des travaux de Michel Lejeune ................................... 287
Les langues italiques
Fabrice PoLI (Université de Bourgogne)
Relecture de l’inscription osque Vetter 132 ............................................................ 321
Emmanuel DUPRAz (Université de Rouen)
L’inscription frentanienne Ve 173 = Ri Fr 2, la tradition poétique
italique et le nom-racine *h2ep-, « eaux courantes » .............................................. 331
Vincent MARTzLoFF (Université Lumière-Lyon 2)
questions d’exégèse picénienne ............................................................................ 359
index
Index des mots et des formes étudiés...................................................................... 381
Index des documents et corpus épigraphiques ........................................................ 395
Index des auteurs et des passages étudiés ............................................................... 399
Liste des contributeurs (coordonnées, mai 2009) ................................................... 405
Lire, écrire, coMPter :
queLques réfLexions et hYPothèses sur Le sYstèMe
nuMérAL étrusque en MArge des trAVAux de
MicheL LeJeune 1
Gilles VAN hEEMS
Université Lumière-Lyon2
RÉSUMÉ
Cette étude consacrée aux numéraux étrusques s’articule en deux parties bien
distinctes. La première présente un document inédit de M. Lejeune : il s’agit des
différentes entrées consacrées aux termes de la numération étrusque, et destinées au
volume II du Thesaurus linguae Etruscae, resté sans suite. on étudie à cette occasion
l’apport de M. Lejeune à une question récurrente de la recherche linguistique
étrusque. La seconde partie propose une hypothèse susceptible de rendre compte
de la variation observée dans la graphie du numéral étrusque de rang ‘1’, θu ~ θun.
L’idée exposée ici est que θun est la forme d’accusatif de θu, et que sa flexion trahit
un rapport avec la catégorie des pronoms. Après une étude exhaustive des contextes
d’attestation du numéral, on cherche à comprendre, en particulier à l’aide de la
typologie linguistique, pourquoi ce numéral, à l’exclusion de tout autre, connaît une
forme distincte d’accusatif, et ce que ce détail morphosyntaxique a à nous dire sur ce
numéral très particulier.
ABSTRACT
Dedicated to Etruscan numerals, this study is divided into two separate halves.
In the first half, the Author presents an umpublished paper by M. Lejeune, which
contains various entries concerning terms of Etruscan numeration destined for the
project of a Thesaurus linguae Etruscae volume II, thereafter abandoned. In such a
way, M. Lejeune’s contribution to this important question is examined. In the second
half, the A. attempts to explain the orthographical variation of the first numeral,
1.
La présente version de cet article est considérablement réduite par rapport à la communication initiale :
nos considérations sur le système de notation des nombres paraîtront à part. Elle a en revanche
bénéficié des commentaires qu’elle a suscités de la part de L. Agostiniani lors du colloque, et des
fructueuses discussions que j’ai eues avec V. Belfiore lors de sa phase d’« élaboration ». Je tiens à les
remercier chaleureusement tous deux ici.
288
G. VAN hEEMS
θu ~ θun. here, it is suggested that qun might be the accusative form of qu, and
that its inflexion might reveal a pronominal origin. After a close study of all the
attestations of this numeral, the A. resorts to language typology in order to explain
why this numeral alone receives a distinctive mark of the accusative, and which
conclusions we are allowed to infer from this phenomenon.
introduction
L’intense activité de M. Lejeune, on le sait, a touché à peu près toutes les langues
du Bassin méditerranéen antique, qu’elles soient de souche indo-européenne ou non,
et parmi ces dernières l’étrusque n’a certes pas été négligé. Deux domaines de la
linguistique étrusque ont tout particulièrement éveillé son intérêt : la question de la
genèse de l’écriture étrusque d’une part, sous le double aspect de son « histoire externe »
et de son « histoire interne », pour reprendre les termes mêmes de M. Lejeune 2, et le
système numéral d’autre part, qui recoupe d’ailleurs en partie la première question,
puisque le savant s’est également interrogé sur la genèse d’un système de notation
des nombres, et sur sa transmission (là aussi « interne », pour comprendre comment
ce système graphique était enseigné et dans quelle mesure il a ou non conservé
son autonomie par rapport à l’autre système d’écriture de l’étrusque, l’alphabet, et
« externe », puisque ce système de notation s’est lui aussi exporté). La question de
l’alphabet étrusque, de sa formation et de sa diffusion, en un mot de son enseignement
par des maîtres étrusques à des élèves – qu’ils soient étrusques ou étrangers – avait fait
l’objet de deux interventions, lors de la journée d’hommage à M. Lejeune organisée en
mai 2005 à la Bibliothèque Denis Diderot de Lyon 3. C’est pourquoi je m’intéresserai
plutôt dans cette étude au sujet auquel M. Lejeune a consacré une bonne part de
son activité scientifique au tout début des années quatre-vingt : le système numéral
étrusque. Cette circonstance me semble d’autant plus adaptée que ce colloque réunit
L. Agostiniani, qui a offert à la communauté scientifique il y a une dizaine d’années
une étude remarquable sur le système numéral étrusque 4, qui doit constituer le point
de départ obligé de tout nouveau réexamen de la question, et P. Poccetti qui, de son
côté, prépare l’édition des scripta minora de M. Lejeune.
Mon étude prendra une forme quelque peu atypique, puisqu’elle est articulée
en deux parties assez différentes l’une de l’autre : la première entend dresser une
présentation des travaux que M. Lejeune a consacrés au système numéral étrusque,
et est centrée autour d’un texte de M. Lejeune resté inédit ; l’autre, en revanche,
2.
Voir le titre de son article programmatique – resté (encore) sans écho – paru dans les Studi Etruschi
en 1985, qui militait « Pour une histoire, interne et externe, de l’écriture étrusque » (cf. Lejeune 1985).
3.
Voir les communications de P.-Y. Lambert et G. Van heems, qui devraient être publiées en ligne.
4.
Agostiniani 1995.
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
289
propose quelques réflexions et hypothèses sur ce système, et s’efforce ainsi de rendre
un hommage dynamique au maître des études de linguistique étrusque et italique
en France.
1. M. Lejeune et le système numéral étrusque
on peut dater avec une certaine précision l’époque à laquelle M. Lejeune s’est
intéressé au système numéral étrusque, ainsi que le contexte « scientifique » dans
lequel est née et s’est inscrite cette recherche : peut-être dès la toute fin des années
soixante-dix, en tout cas en 1980 et 1981, puisque c’est en 1981 que sont publiées trois
de ces contributions, et que la même année le savant achève une série d’articles, restés
inédits, mais dont nous allons longuement parler, consacrés aux numéraux étrusques.
Les trois articles concernés, qui sont bien connus des étruscologues, sont :
1. « Les six premiers numéraux étrusques », REL 59, 1981, p. 69-77.
2. « Procédures soustractives dans les numérations étrusque et latine », BSL 76, 1981,
p. 241-248.
3. « Étrusque avil(s). Essai lexical », RPh 55, 1981, p. 15-19.
Le dernier de ces titres ne concerne qu’incidemment la question des numéraux,
mais sa lecture indique de manière indubitable qu’il est directement né des recherches
menées par le savant sur les numéraux 5. Le sous-titre de l’article de la Revue de
Philologie sur avil(s), « essai lexical » 6, ainsi que la longue introduction qui l’ouvre,
permettent de comprendre dans quel cadre et dans quel contexte ces recherches ont
vu le jour : M. Lejeune travaillait à cette époque à la rédaction d’une série d’articles
sur les « termes de la numération » destinée au second volume du Thesaurus Linguae
Etruscae, alors en préparation ; les entrées furent rédigées avec diligence, mais ne furent
malheureusement jamais publiées, en raison de l’abandon du projet. Il est indispensable
de présenter ce projet international, si l’on veut correctement comprendre le document
inédit que nous allons présenter ; il s’agit en outre d’une question d’actualité, puisque
ce « second volume » du Thesaurus est à nouveau en gestation.
La publication du premier volume du Thesaurus, dont le sous-titre, Indice
lessicale, est significatif, marque un moment important de l’histoire de l’étruscologie.
on pourrait en effet voir en ce Thesaurus l’œuvre clé de ce qu’on pourrait appeler la
« nouvelle linguistique étrusque », étant donné qu’il résume à lui seul les principes
5.
L’auteur justifie le choix de ce lexème ainsi : « Nous avons choisi le premier mot, dans l’ordre
alphabétique, qui se présente avec une documentation suffisamment abondante et une signification
assez bien établie » (art. cit., p. 15). Mais cet article est avant tout une étude des formulaires
d’expression de l’âge dans les épitaphes, dont le substantif avil est un élément central, et qui sont par
ailleurs la source principale, avec le rituel de la Momie de zagreb, qui nous font connaître la structure
linguistique des numéraux étrusques.
6.
Il s’agit tout simplement d’une proposition d’organisation des différentes entrées du volume II du
Thesaurus Linguae Etruscae (dorénavant abrégé ThLE II), alors (et déjà) en gestation.
290
G. VAN hEEMS
et les buts de la génération de chercheurs qui à la fin des années soixante et tout au
long des années soixante-dix a rénové en profondeur ce domaine de l’étruscologie,
en mettant au centre de son attention les questions de méthode 7, puisque les bases
de ce vaste lexique sont posées lors du fameux colloque de l’Istituto di Studi etruschi
ed italici de 1969 à Florence, précisément consacré aux « Ricerche epigrafiche e
linguistiche sull’etrusco », et destiné à faire le point sur l’état de nos connaissances
à l’époque, et sur l’avenir du secteur épigraphique et linguistique de l’étruscologie 8.
C’est à cette occasion que M. Pallottino annonce officiellement que les travaux
préparatoires en vue d’un Thesaurus sont achevés et ouvre le débat qui n’est, en
un sens, toujours pas vraiment résolu aujourd’hui, de savoir si l’on doit concevoir
ce Thesaurus comme un simple index des formes attestées ou bien comme un
véritable « dictionnaire », indiquant pour chaque lexème assuré ou présumé l’état
de nos connaissances certaines, probables, voire négatives 9. Dès la publication du
ThLE I, en 1978, le principe d’un « second volume » est admis et sa préparation
annoncée 10 ; mais celle-ci ne commence concrètement qu’au début de l’année 1980
et est encore une fois due à l’énergie de M. Pallottino, qui invita ses collègues de
toutes les nations spécialistes d’épigraphie et de linguistique étrusques à prendre
part au projet, et, pour commencer, à le définir 11. Dans ce projet reposant sur une
collaboration internationale, la section française de l’Institut d’études étrusques et
italiques, alors dirigée par R. Bloch, ne pouvait que jouer un grand rôle, et l’on peut
dire que, parmi les savants francophones 12 qui répondirent à l’appel de M. Pallottino,
M. Lejeune fut certainement celui qui travailla le plus activement à ce projet, non
seulement en achevant très rapidement la partie du travail qui lui était échue, mais
aussi et surtout en proposant des lignes directrices et des principes de rédaction qui
7.
M. Pallottino et ses élèves, en particulier C. De Simone, ont joué un grand rôle dans cette
« refondation », à laquelle apportèrent aussi une contribution fondamentale h. Rix en Allemagne
et M. Lejeune en France. Le colloque organisé à Florence en 1969 précisément sur Le ricerche
epigrafiche e linguistiche sull’etrusco (cf. Cristofani (éd.) 1973) est emblématique de ce climat
scientifique particulièrement fécond.
8.
Le sous-titre du colloque, Problemi, prospettive, programmi, est de ce point de vue très clair.
9.
Cf. M. Pallottino, in Cristofani (éd.) 1973, p. 23 : « A proposito del lessico esiste un accordo tra
l’Istituto di Etruscologia dell’Università di Roma e l’Istituto di Studi Etruschi in vista della
pubblicazione di un thesaurus la cui schedatura è ormai stata completata presso l’Istituto romano. Lo
schedario fu impiantato sotto la mia guida da de Simone, poi continuato da Cristofani ed ora affidato
ai dottori Pandolfini e Morandi qui presenti (...). credo che la nostra discussione debba vertere su
questo : se il thesaurus sia da concepire come un vero e proprio vocabolario della lingua etrusca o
come un puro e semplice indice lessicale ». Le débat se poursuit p. 23-30, et se conclut sur une sorte de
« compromis », qui trouverait son expression idéale dans la constitution de deux volumes distincts.
10.
M. Pallottino conclut ainsi sa préface au ThLE I (p. 9) : « La seconda opera è già in preparazione ».
11.
Sur ce projet et son organisation, voir le récit d’un de ses principaux acteurs : Pandolfini Angeletti 1997,
p. 465 sq.
12.
Pour la Belgique, R. Lambrechts ; pour la France, citons principalement R. Bloch, J. heurgon et
M. Lejeune.
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
291
furent choisis 13, et sur lesquels nous allons revenir. Pourtant, malgré cet enthousiasme
et l’important travail fourni par certains collaborateurs 14, le projet n’est jamais arrivé
à son terme, sans toutefois être abandonné : relancée d’abord à la fin des années
quatre-vingt, puis en 1994, conjointement, cette fois-ci, à une réédition du premier
volume, la parution du second volume du Thesaurus Linguae Etruscae a été annoncée
par E. Benelli, qui est chargé de coordonner les deux volumes (dont le premier doit
sortir de presse incessamment), peut-être avec un peu trop d’optimisme, pour 2008. Il
faudra sans doute compter sur une nouvelle collaboration internationale, et espérons
que nous saurons donner suite aux brillantes contributions de M. Lejeune, laissées
malheureusement sans écho, et que j’aimerais présenter ici.
Le manuscrit inédit de M. Lejeune – qu’a bien voulu me laisser consulter
J.-P. Thuillier, qui en possède une copie, et que j’aimerais remercier – comporte
32 feuillets, composés de 30 entrées, de longueur bien évidemment inégale 15 ; sur
ces 30 entrées, on a quinze articles à proprement parler, et quinze renvois. on note
immédiatement la volonté d’exhaustivité qui a animé M. Lejeune : le savant traite non
seulement les numéraux cardinaux, mais également leurs dérivés directs (ordinaux
et adverbes), ou encore les lexèmes dérivés (ou prétendument dérivés) d’un numéral
(comme zelarvenas, zelur, śarvenas, śarśnauś). Pour compléter son étude, M. Lejeune
a adjoint la particule -em, qui n’est pas un numéral, mais une postposition qui n’a
pas d’autre emploi en étrusque en dehors de la formation de syntagmes numéraux 16.
Les adverbes figurent dans l’index, mais sont traités sous le cardinal correspondant
(voir, par exemple, l’entrée ci) ; quant aux ordinaux 17, ils ne forment pas une entrée à
part, mais sont eux aussi étudiés à la suite du cardinal correspondant.
Pour compléter la présentation de cet inédit, je tiens à attirer l’attention sur la
structure de ces articles, qui montre que M. Lejeune avait profondément réfléchi
13.
Ces lignes directrices sont celles qu’il expose dans l’article programmatique déjà cité (Lejeune 1981c).
Sur le modèle alternatif, préconisé par h. Rix, mais plus difficile à mettre en œuvre, voir Pandolfini
Angeletti, art. cit., p. 465.
14.
D’après M. Pandolfini Angeletti (art. cit., p. 467 et n. 2-4), outre M. Lejeune, R. Bloch, C. De Simone,
R. Lambrechts, A.J. Pfiffig et h. Rix avaient rédigé des articles fournis.
15.
Ce texte est édité en annexe.
16.
Comme on sait, cette postposition entre dans la composition des nombres composés ‘D(izaine) + 7, 8
ou 9’ (= séries ‘17, 18, 19’, ‘27, 28, 29’, etc.). Sur ces formations soustractives, voir Lejeune 1981b ;
Agostiniani 1995, p. 45-47, et, pour la définition de -em comme postposition, notre propre
développement, infra.
17.
Le meilleur exemple est la forme zaqrumsne du Liber, traitée sous zaqrum. M. Lejeune mentionne
également śarśnauś, mais il accueille avec circonspection l’interprétation ordinale ; enfin, on peut
ajouter le gén. huqs de la tombe des Charons (ET Ta 7.81), pour lequel M. Lejeune adopte l’hypothèse
proposée par M. Pallottino, qui fait de cette forme un équivalent fonctionnel du cardinal (compris
comme « le quatrième »). Cf. Pallottino 1962, p. 303-304 ; les arguments, toutefois, en faveur
de l’équation huq = ‘6’ (et, corollairement, sa = ‘4’) sont, nous semble-t-il, déterminants : voir
Agostiniani, art. cit., p. 27-30.
292
G. VAN hEEMS
aux questions méthodologiques qui sous-tendent la réalisation d’un tel volume 18
– et qui peuvent à ce titre intéresser non seulement les étruscologues, mais aussi les
linguistes que préoccupent les questions de lexicologie. Chaque article comprend les
paragraphes suivants :
1. inventaire des attestations, qui sont citées dans leur contexte immédiat (pour
les six nombres inscrits sur les dés de Vulci est indiqué en outre le numéral
inscrit sur la face opposée), avec renvois aux TLE ou à la REE ; les passages
cités sont traduits dans la mesure du possible ;
2. éventuellement inventaire des variantes diatopiques et/ou diachroniques
(avec explication ou hypothèses explicatives concernant leur forme) ;
3. étude morphosyntaxique : flexion, formation des numéraux « complexes »
(c’est-à-dire des numéraux composés d’une dizaine et d’une unité), formation
des dérivés (ordinal, adverbe, lexèmes éventuellement dérivés) ;
enfin, s’il y a lieu, on trouve un paragraphe étymologique, qui peut être de deux types :
– soit il prend la forme d’un rappel des rapprochements étymologiques proposés
par les linguistes, suivi d’une critique serrée et fine. M. Lejeune élimine évidemment
les rapprochements absurdes, qu’il ne mentionne même pas 19, mais ne conserve que
les rapprochements défendables, comme le nom préhellénique (pélasgique) ÔUtthniva
s.v. huq ou la glose TLE 2 858, Xosfer = october, s.v. cesp- ;
– soit il s’agit d’une étude des éventuelles correspondances avec le lemnien :
ainsi, un long développement est consacré aux formes attestées sur la stèle de Kaminia
à la fin de l’article śealc-. or ce plan est très précisément celui de « l’ordonnance de la
description » qu’il préconise dans son article programmatique « Étrusque avil(s)... »,
et l’on peut dire que ces pages manuscrites sont l’illustration exemplaire des principes
mis en avant dans son article de la Revue de Philologie.
D’après cet article, en effet, les entrées du ThLE II doivent se décomposer de la
manière suivante 20 :
18.
Les principaux obstacles inhérents à la constitution de ce type d’ouvrage sont rapidement présentés
in Lejeune 1981c, p. 15, avec une grande pertinence : « Les difficultés particulières propres à cette
entreprise sont de deux ordres. D’une part (est-il besoin de le rappeler ?), un très grand nombre
de termes nous demeurent soit totalement soit partiellement obscurs (...). D’autre part (péril plus
insidieux), la structure de la langue nous est médiocrement connue ; lui surimposer les catégories
grammaticales du latin, par exemple, c’est courir grand risque de fausser la description ; il conviendra
de chercher empiriquement des modes de présentation qui, sans rompre entièrement avec une
nomenclature traditionnelle, puissent demeurer suffisamment prudents ».
19.
Inutile de préciser que ces rapprochements sont particulièrement nombreux dans le domaine des
numéraux. L’un des plus fameux est celui que certains établissent entre étr. qu et i.-e. *dwō-, ‘2’, au
mépris de l’évidence textuelle (voir les conclusions d’« indo-européanéistes » comme Trombetti 1928,
p. 167 ou Goldmann 1930, p. 254 ; sur ce numéral et sa valeur, nous renvoyons à ce que nous
disons infra).
20.
La citation se trouve in Lejeune 1981c, p. 15-16.
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
293
• Premier alinéa : inventaire des formes ; indication de fréquence pour chacune ; aperçu
de la chronologie des attestations (et aussi, quand nécessaire, de leur distribution
géographique). Il est implicitement renvoyé au t. I pour le détail des références.
• Deuxième alinéa : définition sémantique et discussion détaillée des contextes.
• Troisième alinéa : statut grammatical des formes.
• quatrième alinéa, s’il y a lieu : rapprochements envisageables à l’intérieur de l’étrusque
(ou éventuellement à l’intérieur du tyrrhénien au sens large, en y englobant le lemnien
et la composante étruscoïde du rétique). ou encore, le cas échéant, signalement des
emprunts (faits à une autre langue par l’étrusque, ou à l’étrusque par une autre langue).
• Alinéa final : bibliographie sélective (d’où seront notamment éliminées, par principe,
toutes les approches prétendument étymologiques).
Ainsi est-on en mesure, grâce à ce document, aux articles publiés et aux ouvrages de sa
bibliothèque personnelle annotés par sa main, de retracer les questions qui occupaient
M. Lejeune au tout début des années quatre-vingt ; il s’agit d’un examen exhaustif du
système numéral étrusque, puisqu’il traite tant des aspects morphosyntaxiques de la
question 21 que, plus généralement, des processus de formation des différents nombres
et du système graphique élaboré pour les noter 22. Dans la lignée de ces travaux,
j’aimerais très modestement proposer une hypothèse sur le premier nombre étrusque.
2. Étr. qu ~ qun.
2.1. Bien que l’identification des six premiers numéraux de l’étrusque ait été
un chemin long et semé d’embûches, on peut dire qu’elle est aujourd’hui acquise,
et plus personne ne conteste que qu ait la valeur de ‘1’. Dans ce patient travail
d’identification, qui fut sans doute l’une des plus éclatantes réussites de la méthode
dite « combinatoire », deux documents, la fameuse paire de dés de Vulci 23, où les
nombres des six faces, au lieu d’être symbolisés par des points, sont écrits en toutes
lettres, et la lamelle bilingue de Pyrgi, qui a confirmé de manière certaine l’équivalence
étr. ci = ‘3’ (= pun. šLš), ont joué un rôle fondamental 24. Par ailleurs, la distribution des
formes de pluriel et de singulier après les numéraux 25 a permis d’écarter de manière
définitive les tentatives de faire de qu un numéral supérieur à 1 26.
21.
qui sont explorés surtout dans l’article paru dans la Revue des Études Latines (Lejeune 1981a) et le
document inédit que nous avons présenté.
22.
Sur ces deux derniers points, voir tout particulièrement Lejeune 1981b.
23.
qu’on a longtemps cru provenir de Tuscania (cf. CIE 11115-11116 [= ET AT 0.14 et 0.15]) ; on doit à
G. Colonna d’avoir réattribué ces objets exceptionnels à Vulci et d’avoir retracé leur histoire, depuis
leur découverte et leur achat par le Duc de Luynes jusqu’à leur arrivée au Cabinet des Médailles
(Colonna 1978, p. 115).
24.
Pour la méthode mise en œuvre, voir Lejeune 1981a ; Agostiniani 1995, p. 26-30.
25.
Sur ce point, cf. Agostiniani 1995, p. 26.
26.
Pourtant nombreuses – et anciennes ; et malgré les travaux de Deecke qui, dès son opuscule de
réfutation des « démonstrations » de Corssen, avait posé le problème herméneutique des dix premiers
294
G. VAN hEEMS
Si ce numéral ne pose donc plus de difficultés sémantiques, en revanche, les
détails de sa morphologie restent mal connus puisque, si l’on a remarqué depuis
longtemps qu’il apparaît sous deux formes, qu et qun, l’économie de cette distribution
reste obscure 27. En général, on s’accorde aujourd’hui pour faire de qu-n la forme
pleine du numéral, sur laquelle sont bâtis les cas obliques ainsi que les dérivés, et de
qu la forme réduite 28, sans qu’il soit pour autant possible de motiver davantage le
choix entre l’une des variantes. Nous aimerions tenter, si possible, de mettre de l’ordre
dans cette oscillation « sans raison apparente », en proposant d’y voir une opposition
flexionnelle, qu étant la forme de nominatif de ce numéral, et qun sa forme d’accusatif :
on y gagnerait – outre l’élimination d’une allomorphie toujours gênante – de pouvoir
classer qu parmi les pronoms.
2.2. Examen de la distribution des formes
Cette interprétation, assez séduisante sur le papier, doit faire le compte des
évidences textuelles. La distribution fonctionnelle proposée ici pour les formes qu et
qun semble opératoire dans les cas suivants.
2.2.1. Les deux dés de Vulci 29 donnent comme unique forme pour le numéral
‘1’ qu ; or c’est bien la forme de nominatif que l’on s’attend à trouver sur la face d’un
dé, et non une forme fonctionnellement marquée 30 ; d’ailleurs, sur les autres faces de
ces dés, on trouve la forme d’absolutif, qui a des chances de jouer ici le rôle de casus
pendens. on a très probablement un autre exemple de ce type d’emploi dans le texte
inscrit sous le pied d’une patère de Chiusi, où qu est inscrit en dessous du dernier
mot de l’inscription 31, et est visiblement séparé du reste du texte 32 ; il s’agit, à notre
avis, de l’équivalent des symboles chiffrés que l’on trouve souvent au fond des vases,
numéraux étrusques sur de saines bases (cf. Deecke 1875, p. 4-13) et ceux de Torp 1902, p. 64 sq., qui
rétablit correctement la séquence des six nombres des dés de Vulci, nombreux furent les passionnés
d’étymologie à chercher à la réfuter sous la suggestion de pseudo-rapprochements étymologiques.
Pour une revue de la bibliographie ancienne et des différentes propositions, voir Pfiffig 1969,
p. 123 sq.
27.
Cf., déjà, W. Deecke, in Müller-Deecke 1877, II, p. 511.
28.
Voir, entre autres, Pfiffig 1969, p. 124 ; Lejeune, document inédit, s.v. qu (cf. annexe) ; henry 19821983, p. 24 (« La forme primitive [scil. de qu] pouvait être *qun à en juger par qunem, tunur... ») ;
Agostiniani 1995, p. 26 : « Il numerale per ‘3’ [coquille pour ‘1’] si presenta in due varianti,
apparentemente libere, qu e qun : ma qun è comunque la forma piena, che si ritrova in derivati come
qunz ‘una volta’ o qun-em nelle forme sottrattive (su cui più avanti) ».
29.
Nous rappelons les formes inscrites sur les six faces de ces deux dés (ET AT 0.14-0.15), par couples
opposés : qu / huq ; zal / mac ; ci / sa.
30.
Le principe agglutinant de la morphologie étrusque prouve en lui-même que le cas appelé nominatif
(pour les pronoms) ou absolutif (pour les substantifs) est un cas morphologiquement non marqué, et
qu’il convient bien a priori pour remplir le rôle du casus pendens (cf. Rix 1984, § 28).
31.
Cf. Fiesel 1935-1936, p. 245 et pl. XXXIII.
32.
ET Cl 2.26 (pied de patère ; Chiusi, IVe s. av. J.-C.) : ta : qafna : raqiu : cleusvinśl : / qu.
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
295
indiquant soit la capacité du contenant, soit son contenu, et il est normal que l’on
trouve dans cet emploi le « cas-zéro ».
Corollairement, le plomb de Magliano, quoique d’interprétation fort délicate,
pourrait offrir une attestation de la forme qun dans un syntagme objet, et confirmer
ainsi un emploi de la forme à finale nasale dans un groupe à l’accusatif. Il s’agit du
groupe huvi qun, inscrit au centre de la face B (et donc à la fin de ce texte rédigé en
spirale à partir du bord du disque), qui, d’après une interprétation récente 33, pourrait
être l’objet du verbe tev (« montrer » uel sim. ; ici peut-être à l’impératif) qui le
précède. Il faut néanmoins reconnaître que la syntaxe de ce passage (et, il faut bien le
dire, de l’ensemble du plomb) est loin d’être évidente ; il n’est d’ailleurs même pas
certain que l’on ait la forme qun, puisque le texte donne la séquence huviqun sans
séparation 34.
2.2.2. Les deux formes articulées attestées pour ce numéral sont quca et quncn.
or, même si la première de ces formes n’est pas certaine (la dernière lettre du lexème
n’est pas lisible), le contexte dans lequel apparaît qun-cn ne laisse pas de doutes quant
à sa nature et sa fonction. La forme apparaît dans le long (mais lacunaire) cursus
honorum inscrit sur le sarcophage d’un membre de la gens anina 35 :
lar[θ] aninas : a : vipenal clan : ramθas / ---unuc. θuncn σe---σ macst / zilc : tenu.
en------e [-?-] / --θ--n / v[----]- : avil : θesnχνa municlat/ zilaχnce
Comme on n’a pas manqué de le faire 36, quncn doit être analysé comme qun-cn, où
qun est la forme du numéral en -n et -cn le pronom démonstratif enclitique, dont les
emplois sont bien connus 37. Dans l’inscription en question, quncn sert sans doute
de déterminant à ]unuc, qui ouvre la seconde ligne de l’inscription, et pour lequel,
de toute évidence, on doit restituer le nom de magistrature [mar]unuc 38 ; la forme
qun-cn tire de sa formation articulée avec un déictique une valeur désignative qui en
fait l’équivalent (du point de vue pragmatique s’entend 39) d’un ordinal, et qui sert
à spécifier quel type de marunuc a exercé le défunt, en l’occurrence quelque chose
33.
Wylin 2004, p. 215.
34.
C’est la leçon que conserve le CIE, ad tit. 5237. h. Rix et ses collaborateurs, dans les ET, proposent
en revanche la lecture huvi qun.
35.
ET Ta 1.162.
36.
Voir G. Colonna, in REE 52, 1984, n. 10, p. 286, suivi par Maggiani 1996, p. 110.
37.
Sur les emplois clitiques des pronoms démonstratifs étrusques, nous renvoyons à Rix 1984, § 40 ;
Idem 2004, p. 962-963.
38.
Cf. Maggiani 1996, inscr. n. 21.
39.
on considère que les ordinaux étrusques sont des adjectifs en -na construits sur un « élargissement »
en -s/s- de l’ordinal (sur le problème posé par l’oscillation de la sifflante, voir infra). Mais l’existence
d’une classe d’adjectifs ordinaux dans une langue donnée n’empêche pas le développement de formes
sémantiquement équivalentes, du type fr. la première voiture / la voiture n° 1. Sur l’interprétation de
quncn comme quasi-ordinal, voir également Agostiniani 1995, p. 33.
296
G. VAN hEEMS
comme « le marunuc celui 1 > le marunuc n° 1, le premier 40 marunuc ». or nous
disposons d’une double preuve nous assurant que le syntagme [mar]unuc quncn est à
l’accusatif : une preuve morphologique, donnée par la flexion du pronom enclitique
adjoint au numéral et une preuve syntaxique, apportée par l’analyse phrastique de
cette partie de l’inscription : le syntagme [mar]unuc quncn est sur le même plan que
macst 41 et zilc, autres noms de magistratures, et tous trois dépendent du verbe technique
*ten-, dont le sujet est lar[q ] aninas, et qui est le verbe couramment employé pour
désigner l’action d’exercer une magistrature (= lat. [magistratum] gerere). L’existence
de la forme qun-cn et, corrélativement, la non attestation de la forme *qun-ca sont,
à notre sens, de solides arguments en faveur d’une distribution fonctionnelle (et plus
précisément casuelle) des formes qu et qun ; et ce d’autant plus que si l’existence de
la forme quc[a] n’est pas bien établie 42, en revanche, on a plusieurs attestations de
la forme quta, qui pourrait parfaitement supporter une analyse en qu-ta, équivalent
exact, au nominatif, de la forme quncn de la tombe des Anina. Ce n’est pas ici le
lieu approprié pour passer en revue toutes les interprétations de quta, dont la nature
adjectivale est généralement admise, mais dont les traductions passent de « chéri(e) »
à « sien, propre » 43. J’aimerais toutefois mentionner une hypothèse très intéressante de
B. henry, mais passée généralement inaperçue, en raison de la diffusion confidentielle
de son étude, pourtant importante, sur les numéraux étrusques 44. L’auteur propose en
effet de voir en qu-ta une forme articulée, pour laquelle il suggère une valeur d’ordinal
(« premier »), signification qui, d’après lui, convient aux différents contextes dans
lesquels il s’insère 45. Sans nous pencher sur les quelques inscriptions où apparaît ce
terme pour voir comment un numéral articulé pourrait s’y adapter, nous avertirons
simplement que, puisqu’un emploi de qu articulé en fonction de déterminant est
attesté, il faut pour le moins prendre en compte l’hypothèse que qu-ta soit le numéral
‘1’ articulé et employé comme déterminant – même si le sens exact à lui donner reste
40.
Plutôt que « unique », comme le propose Maggiani 1996, dans la mesure où nous est documenté plus
d’un marunuc.
41.
Il est probable que l’on a affaire à une abréviation pour mact(revc), motivée sans doute par la fin de
ligne, plutôt qu’à une seule magistrature dénommée macst zilc.
42.
Seul un passage du Liber linteus (ET LL XII.6) pourrait éventuellement offrir une attestation de qucạ.
43.
on est même allé jusqu’à en faire la forme étrusque d’un emprunt à ital. *touta ou une désignation de
la prêtresse.
44.
henry 1982-1983 ; voir en particulier les pages 25 sq.
45.
Ce qui n’est malheureusement pas, nous semble-t-il, tout à fait évident. Si l’on met à part l’occurrence
de la Momie de zagreb (ET LL X.7 : acil. ipei. quta. cnl. caśri /…), d’interprétation difficile, et la
longue épitaphe de la tombe des Boucliers (ET Ta 5.4, d’après la relecture de Morandi 1987), dont le
contexte est trop lacunaire, quta apparaît dans deux syntagmes nominaux, une fois avec mec (lamelle
de Pyrgi ET Cr 4.4), et une fois avec ati (épitaphe peinte de la tombe des Qansina à San Giuliano,
ET AT 1.193), qui sont indéniablement des substantifs. quta a donc nécessairement une fonction
déterminante, et appartient par conséquent à la classe des adjectifs ou à celle des déterminants du
nom. Dans ce cadre, une analyse qu-ta irait parfaitement, même si l’on ne peut tirer pour le moment
aucune conclusion sémantique.
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
297
difficile à cerner. Enfin, pour en revenir à notre propos, il est important de souligner
qu’une forme *qun-ta n’est pas plus attestée que *qun-ca 46, double absence conforme
à notre hypothèse.
2.2.3. Le « dérivé » de qu – mais nous verrons que ce terme est impropre – le
plus fréquent (4 exemples) est sans doute qun-em, dont l’analyse, grâce aux formes
parallèles esl-em et ci-em, est assurée. qunem apparaît, nous l’avons vu, dans les
composés numéraux à structure soustractive pour former les numéraux de la série
‘D+9’. L. Agostiniani a eu le mérite de mettre en évidence la structure syntaxique de
ces composés, où qun-em (ainsi que, cela s’entend, eslem et ciem) est le modificateur
du syntagme, tandis que zaqrum (ou tout autre dizaine) en est la tête ; dans ces
conditions, les calques latins duodeuiginti et undeuiginti ne sont que partiellement
comparables aux formes étrusques correspondantes, puisqu’en latin c’est uiginti et non
duo- ou un- qui est le modificateur 47. Mais il faut aller plus loin : il me semble qu’on
n’a pas perçu la nature exacte de l’élément enclitique, qui a toutes les caractéristiques
d’une postposition – dont l’étrusque fait, comme on sait, grand usage 48 – à laquelle on
peut donner le sens de « sans » ou de « sauf, excepté » (qunem zaqrum = « vingt sans/
sauf un », c’est-à-dire ‘19’). or le trait caractéristique principal d’une postposition
est syntaxique, et s’appelle la rection ; par conséquent, si qun- dans les composés en
question dépend de -em 49, il faut admettre qu’il est fléchi à un cas qui ne peut être
le nominatif, puisqu’une postposition marque un rapport de dépendance syntaxique,
et que l’on a par conséquent nécessairement affaire à une forme d’accusatif. Ce n’est
d’ailleurs pas là l’unique postposition étrusque régissant l’accusatif pronominal (et
46.
on peut également mentionner le problématique quna (qu’il serait tentant d’analyser comme un dérivé
en -na de qu), dont l’existence même n’est pas certaine : les Etruskische Texte croient le lire dans
l’inscription peinte en noir sur l’enduit d’un mur de la petite tombe à chambre 5069 de la nécropole
des Monterozzi (loc. Villa Tarantola ; ET Ta 0.19). Pourtant les photographies et l’apographe de
l’inscription fournis par les éditeurs (cf. L. Cavagnaro Vanoni, in REE 33, 1965, n. 19, p. 482 et
pl. CIXa, et M. Pandolfini, in Linington-Serra Ridgway 1997, p. 74 [= t. 113 ; pl. LXXXIX, CXLIX])
ne laissent subsister aucun doute quant à la lecture, et doivent conduire à adopter la leçon
mlaχ. ca. scuna
fiṛa. hinθu
Voir le commentaire de M. Pandolfini, loc. cit. : « All’esame autoptico, malgrado il cattivo stato di
conservazione, sembra potersi escludere la lettura quna (Rix) invece di scuna, anche perché l’altra q,
sicura, ha forma romboidale (…) ». Une inscription découverte récemment empêche toutefois de faire
de quna un mot-fantôme du lexique étrusque (cf. A. Maggiani, in REE 69, 2003, n. 9, p. 290-291, où
est proposée l’interprétation « seul, unique »). Mais le texte est, nous semble-t-il, trop lacunaire pour
conforter ou infirmer une quelconque analyse de quna.
47.
Sur ces formations, voir les analyses fondamentales d’Agostiniani 1995, p. 45-47. M. Lejeune, dans
le document que nous présentons (s.v. -em) soulignait déjà cette différence fondamentale.
48.
Cf. Rix 1984, § 35 ; c’est d’ailleurs là un trait typique des langues agglutinantes : cf. Agostiniani 1992,
p. 58 et 59.
49.
Ce que la graphie confirme, puisque l’élément fléchi par -em est systématiquement séparé dans
l’écriture de la dizaine qui le suit.
298
G. VAN hEEMS
l’absolutif nominal) : c’est aussi le cas de la postposition -pi, qui exprime, dans ses
emplois les plus clairs, le destinataire de l’action (fonction généralement assumée
par le datif des langues indo-européennes) ; que le cas régi par -pi en étrusque est
bien l’accusatif, quand la postposition est employée avec un pronom, est prouvé par
les occurrences minipi, minpi, « à moi » 50, à côté de aritimi-pi, « pour Aritimi »,
et turan-pi, « pour Turan » 51. on a donc toutes les raisons de croire que -em est
une postposition 52 à part entière (signifiant « sans, sauf, excepté » 53). Dans ces
conditions, il est remarquable que, pour les nombres de la série ‘D+9’, on trouve
systématiquement, à côté de ‘eslem + D’ et ‘ciem + D’, la séquence ‘qunem + D’, et
jamais ‘**quem + D’. Car une récente relecture de l’inscription ET Ta 1.108 54 a fait
justice de la restitution *q [u]enza, qu’avait proposée G. Colonna. Ce dernier 55 estimait
qu’on avait affaire à l’abréviation de *quenza(qrum) – forme problématique à plus
d’un titre : ces numéraux à structure soustractive ne sont jamais abrégés, l’élément
régi par -em est, très logiquement, toujours séparé dans la graphie de la dizaine qui le
suit, et, enfin, il faudrait encore expliquer pourquoi -m passe à -n devant z-. En réalité,
il faut lui substituer la séquence [.] enza, où enza a d’ailleurs de bonnes chances d’être
un autre numéral 56 indiquant le nombre d’enfants que la défunte a mis au monde au
50.
ET Cm 2.13, 2.46. La forme avec nominatif pronominal mi-pi est également attestée (ET Ve 3.13,
Vc 2.3), mais on peut penser qu’elle est due à l’analogie avec les formes de substantifs, pour lesquels
l’accusatif n’est pas marqué. Pour le sens à donner à -pi dans la formule de défense ei mini(pi) capi,
« ne me prends pas ! / qu’on ne me prenne pas ! » (voir, pour une nouvelle et récente attestation, à
Pise, du formulaire, A. Maggiani in REE 65-68, 2002, n. 15, p. 315-318), où la valeur Dest. semble
difficile à concilier, voir nos propres suggestions, infra.
51.
ET Ve 3.34.
52.
Analyser -em comme postposition permet de pallier la difficulté posée par la flexion d’une unité
comme gén. ciem zaqrums, ‘17’ où la marque de génitif n’est présente qu’une fois, alors qu’elle est
généralisée aux deux éléments dans cis zaqrums, ‘23’ ; dans cette dernière forme, l’accord généralisé
marque précisément l’unité du syntagme, plus grande à notre avis dans les numéraux composés par
addition que dans ceux composés par soustraction (contra Lejeune 1981b, p. 243). Nous voulons
d’ailleurs en voir la preuve dans certain fait graphique déjà souligné : la coalescence apparemment
« fautive » huqzars, ‘16’, au lieu de l’attendu huqs *sars, trahit clairement une perception unitaire, de
la part du locuteur-scripteur, de l’ « apparence phonique » de ce syntagme – alors que la séparation des
deux composants des formes du type ciem zaqrums est systématiquement observée dans l’écriture.
53.
Dans le domaine indo-européen, les langues indo-aryennes fournissent de bons exemples de ces
procédures soustractives : les composés ‘D+9’ se font généralement dans ces langues à l’aide de
l’élément ekūna- (strict équivalent de étr. qunem) adjoint au nom de la dizaine supérieure (du type
pāli ekūnavīsati, ‘19’).
54.
Cf. A. Morandi, in REE 70, 2004, n. 54, p. 334-335.
55.
G. Colonna, in REE 53, 1985, n. 38, p. 224 ; il indique d’ailleurs qu’il s’agit d’une suggestion de
M. Lejeune qu’il a trouvée dans l’article huśur destiné au ThLE I…
56.
on peut penser à ‘11’, dans la mesure où ce nombre a souvent, dans les langues du monde, une
structure différente des autres nombres de la série ‘1+U(nité)’ (il suffit de penser aux langues
germaniques). S’il est par ailleurs vrai que le numéral pour ‘12’ en étrusque a une forme synthétique
(snuiaf, d’après Giannecchini 1997) et non analytique, comme le reste de la série (cf. huqzars, ‘16’,
littéralement « 6[+]10 »), alors il est probable que le numéral pour ‘11’ ne soit pas un composé du
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
299
cours de ses cinquante années de vie. Par conséquent, on rencontre une nouvelle fois
la forme qun là où l’on attend un accusatif 57.
2.3. Contre-exemples
À côté de ce groupe de témoignages, on rencontre néanmoins un certain nombre
d’occurrences susceptibles de mettre en difficulté notre hypothèse de travail.
2.3.1. Parmi elles, on trouve l’adverbe numéral qunz, attesté une seule fois 58, mais
que l’on peut reconstruire indépendamment à partir des adverbes de rang supérieur
attestés, qui ont permis d’identifier un suffixe -zi (/-tsi/) alternant avec -z (/-ts/ 59), qui
s’adjoint directement au numéral à l’absolutif (ci, ‘3’ : ci-z(i), « 3 fois »). or on peut
s’étonner qu’un adverbe soit dérivé d’une forme d’accusatif. Sans sous-estimer cette
difficulté, néanmoins, je crois qu’on peut résoudre l’apparent problème en motivant
l’emploi de l’accusatif : après tout, en diachronie, les adverbes tirent souvent leur
origine de syntagmes nominaux 60 ; on pourrait dès lors imaginer que la finale -z(i)
est non pas un suffixe, mais une postposition régissant l’accusatif dotée d’une valeur
sémantique de Comitatif, de Manière ou indiquant plus globalement les Circonstances
Concomitantes 61. on fera noter à ce propos que la morphophonétique de -z(i) est
pleinement comparable à celle de la plupart des postpositions de l’étrusque, CV, avec
un segment consonantique (souvent doté du trait [+occlusif]) suivi d’une voyelle de
timbre /i/ : -qi /thi/, -pi /pi/, -ri /ri/. quant à la chute de la finale (-zi > -z), elle n’est pas
type ‘1+10’, et enza pourrait très bien, dès lors, valoir ‘11’. Mais la finale -za, qui sert à former une
classe productive de diminutifs (sur la question, cf. Van heems 2008) peut également orienter vers un
quantifiant indéfini (type fr. plusieurs, quelques, beaucoup, peu…).
57.
on signalera encore une inscription archaïque récemment découverte à Pontecagnano (v. C. Pellegrino,
in REE 70, 2005, n. 30, p. 306-307), qui, quoique rédigée sous le pied d’une coupe, présente un
formulaire très inhabituel :
θun vertun cẹ[---]aχuis
La fonction de déterminant de θun est confirmée par sa place devant vertun qui est très probablement
un substantif (comme le rappelle G. Colonna, dans son bref commentaire à l’inscription, loc. cit.,
p. 307), appartenant peut-être à la sphère sémantique du don. Malheureusement, l’importante lacune
empêche toute analyse syntaxique du texte susceptible de confirmer que le groupe θun vertun
occupe bien la fonction obj. ; on remarquera cependant que la présence d’un nom à l’« ablatif »
(aχuis) suggère que le texte avait une structure syntaxique complexe et partant qu’il s’accommode
parfaitement de notre hypothèse.
58.
ET Vc 1.93 (sarcophage de la tombe des Tute ; ca 275-250 av. J.-C.) : tute : larθ : anc : farθnaχe :
tute : arnθals / haθlials : ravnθu : zilχnu : cezpz : purtσvana : θunz / lupu
̣ : avils : esals : cezpalχals.
59.
La graphie citz pour ciz (ET LL V.17 et V.19) nous certifie par ailleurs de la valeur phonétique de <z>
dans ces formations adverbiales.
60.
Ainsi, les adverbes en -ment(e) des langues romanes sont issus de la lexicalisation d’un tour
circonstanciel à l’ablatif : lat. iustā mente, litt. « dans un état d’esprit juste » > « justement, avec
justice » ; et la finale -ment(e), devenue opaque, a été prise pour un suffixe et a été étendue à la plupart
des adjectifs qualificatifs pour former l’adverbe de manière correspondant.
61.
Voir en français l’équivalence sémantique totale entre les adverbes en -ment et le syntagme ‘avec
+ subst.’ (justement : avec justice).
300
G. VAN hEEMS
sans exemple : la postposition -qi est très souvent réalisée sous la forme -q 62. Cette
postposition -z(i) requerrait alors, tout comme -pi ou -em, l’accusatif.
2.3.2. La forme qunśna 63 pose elle aussi une difficulté semblable : on en fait,
sur le modèle de loc.-instr. zaqrumsne, qui apparaît également dans le Liber linteus,
l’adjectif ordinal dérivé de qu(n), et l’on comprend la formule qunśna. qunś. flerś
comme « la première (part) d’une victime » ; or on a du mal à admettre qu’un dérivé
soit bâti sur une forme fléchie. Nous ferons toutefois remarquer que du point de
vue graphique (et phonétique), même si l’orthographe du Liber semble observer de
nombreuses oscillations entre <s> et <s>, les formes zaqrumsne et qunśna ne sont pas
pleinement comparables, puisque dans un cas on trouve le sigma (/∫/) devant le suffixe
dérivatif et dans l’autre le san (/s/) ; et l’on comprend mal pourquoi un phénomène
de palatalisation serait intervenu dans un cas et pas dans l’autre, vu que les contextes
phonétiques sont exactement semblables (succession ‘nasale+sifflante+nasale’).
2.3.3. quant à la forme qunś, qui apparaît dans le même passage, on estime
d’ordinaire qu’il s’agit, avec quni, que l’on trouve aussi dans le rituel de la Momie de
zagreb 64, et qunis 65, des cas obliques du numéral qu(n), et qu’ils sont formés sur la
base en -n. or, d’après le peu que l’on sait de la flexion étrusque, aucun cas oblique ne
se forme à partir de l’accusatif 66. Il est clair que dans le passage du Liber, qui clôt une
section du rituel, il y a un jeu étymologique entre qunśna et qunś, mais est-on obligé
d’en faire des dérivés du numéral qu ? qunś peut fort bien être une variante graphique
de l’adverbe qunz, ou encore être une forme quasi-homophone de qu. Mais il s’agit
là, nous l’avouons bien volontiers, d’un argument faible. À moins, donc, de formuler
l’hypothèse que certaines classes lexicales forment leur génitif, pour des raisons qui
sont peu claires, par l’agglutination du morphème de génitif au morphème d’accusatif
(cn-l et qun-ś), ce qui ne va pas de soi, il faut reconnaître que ce passage du Liber
constitue un sérieux obstacle à notre interprétation 67.
62.
Sur l’économie qi : q, nous nous permettons de renvoyer à Van heems 2006, p. 48.
63.
Attestée dans le rituel de la Momie, en ET LL VI.12-13 : etnam. eisna. ic. flereś. crapśti / qunśna.
qunś. flerś (…).
64.
Voir ET LL VII.17, VII.23 et X.7, ainsi que la lamelle de bronze, retrouvée près de l’Ara della Regina,
ET Ta 8.1.
65.
ET Ta 8.1.
66.
Les formes de génitif attestées pour les pronoms (e)ca et (i)ta ne présentent pas d’infixe nasal, à
moins d’analyser ainsi la forme, d’interprétation difficile, cnl, à côté du plus fréquent -cla. Mais
comment expliquer dès lors l’existence de deux formes pour la même fonction ? Par des différences
prosodiques, l’une étant tonique, l’autre atone et clitique ?
67.
Nous laissons de côté, en dépit d’une très ancienne tradition, la forme tunur de l’inscription de
l’hypogée de San Manno (ET Pe 5.2), qui passe généralement pour un dérivé de qu (parallèle à zelur,
attesté dans la même inscription et rattaché à zal, ‘2’), en raison de l’initiale non aspirée. Pour le
moment, l’hypothèse numérale n’offre pas d’interprétation satisfaisante pour ce passage, et il vaut
mieux, en attendant, suspendre le jugement.
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
301
2.3.4. Il faut, pour finir, signaler l’inscription pariétale de la tombe 842 de
Tarquinia TT 3 68, où l’âge du défunt, dont le nomen est illisible, est indiqué en toutes
lettres à l’aide de la formule ‘*sval- + num. + avil’. Il s’agit de la formule verbale
concurrente de l’autre formulaire verbal d’expression de l’âge, ‘avils + num. + *lup-’ ;
la différence essentielle tient au fait qu’elle substitue au verbe signifiant « mourir » le
verbe signifiant « vivre » (*sval- 69). La principale variation syntaxique provient donc
du mode de complémentation : *sval- s’accompagne, au rebours du précédent, d’un
syntagme à l’absolutif dont la tête est avil (gén. avil-s pour la formule avec *lup-) et
remplit une fonction durative (question quamdiu ?). Le syntagme ‘avil + num.’, dans ce
formulaire, est donc nécessairement à un cas oblique, et conséquemment à l’accusatif,
chargé ici d’exprimer la durée, selon un emploi qui est bien connu des langues indoeuropéennes en général, et du latin en particulier (tour tres annos regnauit). or on
trouve, dans l’inscription en question, la séquence
(…) avil : θu [: c]ealc / [---]
Il est vrai que le texte est lacunaire, et que, en toute rigueur, rien n’assure que le
premier mot de la quatrième ligne de ce texte était une forme conjuguée du verbe
*sval- (en pratique le prétérit svalce ou les participes svalas et svalqas, seuls attestés
dans ces formules) – même si la place de cette expression, en clôture d’épitaphe,
rend difficile toute autre interprétation 70. Aussi attendrait-on, selon notre hypothèse,
la forme qu<n> cealc, ‘31’, qu’il semble impossible, d’après les apographes et
les photographies disponibles, de restituer. on pourra postuler, si l’on veut sauver
notre hypothèse, qu’on a affaire à un formulaire différent, où le syntagme serait au
nominatif, à une faute d’orthographe (dont le texte n’est pas exempt : voir cealc, au
lieu de l’attendu cealc) ou encore à une chute du -n en finale, mais on conviendra que
ce sont là des solutions peu crédibles. Une voie plus satisfaisante serait d’envisager
un marquage différentiel du déterminant (en l’occurrence qu) en fonction de ce
qu’on appelle la définition et/ou l’humanitude (angl. animacy) du nom sur lequel
il porte. on sait en effet que dans de nombreuses langues, souvent ergatives, mais
pas seulement, l’objet reçoit plus volontiers une marque s’il est situé en haut des
échelles de définition et/ou d’humanitude. Typiquement, les noms propres, en vertu
de leur valeur désignative, et les pronoms personnels, sont situés en haut de ces
deux échelles, tandis que les noms d’objets inertes et indénombrables en occupent
68.
Peinte sur le mur de droite (en entrant). Pour l’édition du texte, voir M. Pandolfini Angeletti, in TT,
p. 373-374. Nous suivrons ici la relecture proposée par A. Morandi dans la REE 63, 1997 (n. 42,
p. 417-420, avec apographe), qui n’a cependant modifié que sur des points de détail la leçon de
M. Pandolfini pour le passage qui seul nous retient ici.
69.
Le thème nu a des emplois nominaux : voir son utilisation dans la tombe des Claudii à Cerveteri (ET
Cr 5.2), en apposition aux prénoms laris avle. Il ne peut s’agir là que d’un adjectif ou d’un participe
(= lat. uiui).
70.
Voir le commentaire de M. Pandolfini cité à la n. 66.
302
G. VAN hEEMS
le bas 71. que l’humanitude est un trait pertinent pour comprendre la morphosyntaxe
étrusque n’est plus à démontrer depuis les travaux de L. Agostiniani sur la formation
du pluriel dans cette langue 72. C’est d’ailleurs dans ce cadre typologique qu’il faut
comprendre un trait que l’étrusque partage avec de nombreuses langues 73 : seuls les
pronoms (personnels et démonstratifs) sont marqués quand ils occupent la fonction
objet, ita-n, eta-n, t-n ; ica-n, ec-n, c-n ; mini, mine et, avec apophonie, mene, alors
que les substantifs, noms propres et appellatifs, restent invariables qu’ils soient sujet
ou objet de la proposition 74.
Il y aurait donc place, selon nous, pour l’hypothèse selon laquelle la marque -n
d’accusatif s’adjoint à qu obligatoirement quand il détermine un substantif marqué du
trait [+humain], alors qu’elle est facultative, lorsqu’il détermine un substantif marqué
du trait [-humain] 75. De cette manière, on comprend aisément pourquoi l’on a, dans
l’épitaphe tarquinienne, le groupe avil qu cealc, d’où sont absentes à la fois la marque
du pluriel pour avil, et la marque d’accusatif pour qu, et pourquoi au contraire l’on
trouve, dans le Liber linteus, la formule suivante 76 :
meleri. sveleric. svec. an. cś. mele. θun / mutince. (…)
71.
Sur ce marquage différentiel de l’objet, nous renvoyons aux travaux de Lazard 1984, § 4 ; Lazard
1994, p. 192-204 et 228-232
72.
Voir déjà Agostiniani 1992, p. 54-55 ; nous renvoyons surtout à Agostiniani 1993, p. 33-38, pour
la distribution des suffixes, et à Agostiniani 1995, p. 47-51, pour l’étude morphosyntaxique des
syntagmes ‘subst. + num.’.
73.
L’anglais marque uniquement les pronoms à référent humain : comp. he, she : him, her vs. it : it.
L’étrusque, en revanche, comme la plupart des langues qui limitent le marquage de l’objet aux pronoms
(v., par ex., le vogoul, où les pronoms ont une forme d’accusatif, tandis que les substantifs en fonction
d’objet restent au nominatif : Lazard 1994, p. 197), marque non seulement les pronoms personnels
de P1, P2 (pour P3, sans doute représenté par sa, on n’en a pas d’occurrence), typologiquement
volontiers porteurs du trait [+humain], mais aussi les démonstratifs neutres, comme l’indiquent les
formulaires du type itun turuce venel atelinas tinas cliniiaras (ET Ta 3.2), où itun, « cela (acc.) »
renvoie au vase consacré. Pour l’encadrement typologique, nous renvoyons aux références signalées
en n. 70.
74.
on rencontre aussi probablement un double marquage du pronom dans la formule ei minipi capi,
où minipi alterne avec l’acc. « simple » mini. Il doit s’agir d’une surdétermination du pronom objet,
puisque la postposition -pi semble exprimer le rôle sémantique Dest. (cf. turan-pi et aritimi-pi en ET
Ve 3.34). on notera que dans de nombreuses langues, cette marque est empruntée aux cas obliques (il
s’agit généralement du morphème introduisant le rôle sémantique Dest.) : en persan, par exemple, la
marque pronominale d’accusatif râ est à l’origine une postposition signifiant « pour », et parfaitement
comparable à la postposition étr. -pi (cf. Lazard 1994, p. 230 ; pour une étude plus complète, voir
Idem 1982) ; dans bon nombre de langues romanes (espagnol, catalan, certains dialectes occitans et
italiens, roumain), l’objet animé est introduit par la préposition couramment employée pour indiquer
le Dest. : occ. (gasc.) que vei a Joan vs. fr. je vois Jean.
75.
Pour un comportement semblable, voir la distribution des marques du pluriel dans les syntagmes
‘num. + subst.’, telle que l’a mise en lumière L. Agostiniani : le savant a bien montré que la marque du
pluriel était obligatoire avec les substantifs animés, alors qu’elle était facultative avec les substantifs
inanimés. Dans ce dernier cas, il semble que l’ordre syntagmatique (‘subst. + num.’ ou ‘num. +
subst.’) joue un rôle essentiel. Sur la question, voir Agostiniani 1995, p. 49-51.
76.
qu’on peut reconstituer à partir des passages ET LL IV.4-5 et IV.16-17.
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
303
mele qun est de toute évidence l’objet du verbe mutince, dont le sujet est le pronom
(relatif) an ; or mele est certainement marqué par le trait [+humain], puisque dans le
segment qui précède la relative, mele-ri est coordonné à svele-ri(-c), qui sert lui-même
de référent au pronom an des animés. D’ailleurs, l’emploi de la postposition -ri avec
mele suffit presque à en faire un animé, puisque cette adposition indique, comme
on sait, le bénéficiaire du procès, qui ne peut être qu’un actant animé (être vivant,
abstraction, personnification ou entité politique : cf. meqlume-ri, toujours dans le
Liber, « pour la communauté » uel sim.). on est donc dans un contexte syntaxique et
sémantique où la forme qun est requise.
2.3.5. De même, les expressions parallèles zal eśic ci et qu eśic zal du Liber
linteus 77, que l’on traduit depuis fort longtemps respectivement par « deux ou
trois » et « un ou deux » 78, peuvent recevoir une explication analogue. on analyse
généralement l’entière proposition ainsi : deux syntagmes nominaux, zuqeva zal
eśic ci, « deux ou trois z. », et halcza qu eśic zal, « un ou deux h. (ou petits h.) » suivis
de mula, compris par beaucoup comme le subj. du verbe *mul-, « offrir, donner », à
valeur jussive : « donne/que l’on donne » (cf. ara ratum aisna… : « fais/que l’on fasse
le sacrifice (uel sim.) selon le rite »). on aurait donc affaire à un complément d’objet
direct 79 où qu ne reçoit pas la marque d’accusatif. Dans ce cas aussi, on peut expliquer
l’apparente anomalie par le fait que les substantifs zuqeva et halcza sont marqués
du trait [-humain] : c’est très clair pour le premier, puisqu’il est fléchi au pluriel
« inanimé » en -(c)va ; pour le second, c’est également très probable, étant donné, 1)
qu’il s’agit d’une formation diminutive en -za, qui a de bonnes chances de désigner un
« petit objet » (cf. tur-za, « petites offrandes » 80, dans la Tuile de Capoue), et, 2) qu’il
suit directement le syntagme zuqeva zal eśic ci, qui désigne un inanimé.
2.4. Entre pronom et déterminant : préhistoire et histoire d’un numéral
2.4.1. on le voit, mis à part les difficultés posées par les formes en -ns- (qunś
et qunśna), l’hypothèse d’une opposition casuelle est pour le moins séduisante.
Acceptons donc, au moins temporairement, de considérer que l’oscillation formelle
observée soit d’ordre flexionnel. Nous devrons alors d’abord souligner l’isolement
morphologique de ce numéral dans toute la série, puisque les autres numéraux ont une
forme d’accusatif non marquée (comparer qu-n-em : esl-em, ci-em, et non *esl-n-em
ou *ci-n-em), et conforme en cela à ce que l’on reconstruit de la flexion des noms et
77.
ET LL X.20-21 : ara. ratum. aisna. leitrum. zuqeva. zal / eśic. ci. halcza. qu eśic zal. mula. (…).
78.
Voir, par ex., le document inédit de M. Lejeune, s.v. ci, zal et qu.
79.
L’interprétation des syntagmes comme nominatifs a néanmoins déjà été proposée : cf. Cristofani 1995,
p. 76, où il traduit ainsi, à la suite de A.J. Pfiffig, notre passage : « i zuqeva due o tre, i piccoli halc
uno o due, il mula e il santi, il calice e il piccolo calice ».
80.
Il peut aussi s’agir d’un dérivé de la racine verbale tur- non marqué du point de vue de la dimension.
L’appartenance du terme à la sphère du « don » est certaine : cf. Cristofani 1995, p. 80-81.
304
G. VAN hEEMS
adjectifs en étrusque 81. Par voie de conséquence, la présence du suffixe nasal dans
la « flexion » de qu marque ipso facto ce numéral, et le met à part du reste de la
série, et amène nécessairement à le rapprocher, comme on l’a vu, de la seule classe
lexicale de l’étrusque à avoir un accusatif morphologiquement marqué (et marqué
par le suffixe -n), la classe des pronoms 82. Toute la question est alors de savoir si
cette particularité flexionnelle est un héritage, ce qui permettrait alors de conclure
à l’origine pronominale du numéral qu, ou s’il s’agit d’une innovation, induite par
des emplois quasi-pronominaux ou pronominaux de ce numéral. La question paraîtra
sans doute oiseuse – d’autant qu’elle est destinée, soyons franc, à ne recevoir sans
doute jamais de réponse –, mais elle mérite d’être posée en raison de rapprochements
typologiques nombreux 83. Car dans bon nombre de langues du monde on remarque
une affinité du numéral de l’unité avec la classe des pronoms, et cette affinité est
très souvent morphologique : il suffira ici de mentionner le cas de ūnus, a, um en
latin 84, qui emprunte une partie de sa déclinaison à la flexion pronominale (gén. et
dat. sg. épicènes ūn-ius et ūn-ī). Les spécialistes de grammaire latine expliquent cette
particularité morphologique, que ūnus partage avec un certain nombre d’« adjectifs »
au statut particulier (alius, sōlus, tōtus...), non par une origine commune, mais par des
emplois quasi-pronominaux 85. Et la diachronie semble donner raison à cette analyse :
ūnus est, dès une date avancée 86, le prototype et la protoforme dont sont issus les
pronoms indéfinis du roman 87. Mais en est-il de même en étrusque ?
81.
Voir, pour un bon cadre général, Rix 1984, § 28.
82.
Les seuls pronoms (re)connus de l’étrusque sont les démonstratifs (e)ca, (i)ta et -sa (reconnu par
Rix 1984, § 41 ; il n’a qu’un emploi enclitique, et on ignore sa forme d’accusatif), le pronom
(de P3 ?) sa (sur ce pronom, voir, dernièrement, Wylin 2004 ; on en ignore également la forme
d’accusatif), ainsi que le pronom personnel de première personne mi. Cf. Rix 1984, § 39.
83.
on remarque que les premiers numéraux ont des traits morphologiques qui les isolent du reste de la
série : dans les langues indo-européennes, il est fréquent que les premiers soient soumis à la flexion et
à l’accord en genre, tandis que les seconds sont invariables (c’est le cas pour les séries ‘1-4’ en grec,
‘1-3’ en latin ; en sanscrit ‘1-10’ se déclinent, mais seuls les quatre premiers s’accordent en genre). En
étrusque, en revanche, tous les numéraux attestés semblent se décliner. Par conséquent, si notre hypothèse
est correcte, le numéral de rang ‘1’ apparaît comme très nettement démarqué du reste de la série.
84.
Mais les exemples du numéral pour ‘1’ se déclinant comme un pronom plutôt que comme un substantif
ne sont pas isolés ; parmi les langues indo-européennes, le groupe indo-iranien en offre de bons
exemples : ainsi en indo-aryen moyen, le numéral pour ‘1’ suit la déclinaison des pronoms (thème
en -a-), et connaît des emplois pronominaux (notamment au pluriel) ; cf. Norman 1992, p. 200.
85.
Voir, entre autres, Ernout 19523, p. 146-148 ; Monteil 1974, p. 237 ; Coleman 1992, p. 389 sq. on
peut néanmoins se demander si cette particularité morphologique de ūnus n’est pas en réalité due au
fait que ce numéral appartient au groupe des déterminants du nom. on expliquerait ainsi pourquoi il
partage une partie de sa flexion avec les pronoms.
86.
Le théâtre de Plaute nous indique que très tôt, dans certaines variantes sociolectales et/ou certains
niveaux de langue, ūnus jouait le rôle d’un quasi-pronom indéfini (voir, par ex., Plaute, Ps. 948 : una
aderit mulier lepida). Pour l’évolution, voir Serbat 1975, p. 105, dont est tiré l’exemple.
87.
Toutefois, le sens de l’évolution n’est pas sûr, et une origine pronominale n’est pas à exclure pour ce
numéral : la racine indo-européenne dont est issu lat. ūnus, *oi-, est apparentée à la racine pronominale
*i-, élargie en *-no- (cf. Luján Martínez 1999, p. 206). Nous serions dès lors tenté de voir dans la
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
305
2.4.2. on le voit, la question – qui pouvait sembler n’être qu’un détail – de
l’oscillation graphique entre qu et qun prend une autre dimension : car, si l’on peut
démontrer que le numéral qu, en étrusque, a morphologiquement à voir avec la classe
des pronoms, on dispose alors d’une pierre importante à apporter au vaste chantier
de la définition linguistique des numéraux et, plus généralement, de celle de la classe
des « déterminants du nom » ; quant au spécialiste de linguistique étrusque, il gagne
un élément pour l’identification d’une classe de déterminants du nom en étrusque.
or l’acquisition la plus précieuse que nous offre, finalement, notre hypothèse est de
montrer que qu a probablement de véritables emplois pronominaux, et peut-être pas
uniquement en synchronie.
Nous n’avons malheureusement pas le temps d’aborder de manière exhaustive
la question, mais notre recherche doit, nous semble-t-il, conduire à reprendre la
documentation du numéral qu comme enclitique : sur le plomb de Magliano, la
séquence déjà mentionnée huviqun – écrite en scriptio continua sur l’original – est
séparée en deux (huvi qun) par h. Rix, peut-être par la suggestion du groupe lursq sal,
où sal a pu être pris (de manière infondée, cependant) pour une variante du numéral
zal, ‘2’ ; mais on pourrait tout aussi bien y voir une forme unitaire huviqun 88, dont
la finale s’expliquerait par un emploi enclitique du numéral. De même, certains des
nombreux lexèmes en -qu de l’étrusque cachent peut-être un emploi enclitique de qu ;
parmi eux, il est tentant de mentionner aprinqu, attesté deux fois comme cognomen 89
(et donc sans doute sous une forme lexicalisée, où la finale -qu n’était plus forcément
perçue comme un pronom enclitique), mais présent également dans l’épitaphe de Laris
Pulena, sous la forme fléchie aprinqvale. or cette forme de pertinentif doit attirer
l’attention, car elle repose sur une base de gén. en -al, qui est typique – mais non
exclusif – de la flexion pronominale 90, et peut confirmer, en retour, notre intuition
de départ, à savoir que qu est un quasi-pronom. L’on peut d’ailleurs se demander
dans quelle mesure la forme qval attestée à Volsinies, sur une lamelle de bronze de la
Cannicella, peut-être accrochée à la base d’une statue de culte ou à un autel, et portant
la dédicace qval veal 91, et sur une base de tuf (cippe de confins ?), dans la formule
fonction pronominale de ūnus un très lointain héritage, selon un schéma assez proche de ce que nous
proposons pour étr. qu.
88.
Comme le font M. Pallottino (TLE2 359) et les éditeurs du CIE (ad tit. 5237), qui indiquent également
la possible lecture huvi qun.
89.
Cf. ET Cl 1.718 et 1.904.
90.
Sur l’affinité particulière du suffixe de gén. II (selon la terminologie établie par Rix 1984,
§ 30-32 ; Idem 2004, p. 952) et les pronoms, et sur la possibilité de définir, en diachronie, l’origine
pronominale d’un élément suffixal sur la base de l’emploi du suffixe de gén. II, voir Agostiniani 2003,
p. 189-192.
91.
Voir ce qu’en dit G. Colonna, in REE 35, 1967, p. 548. Sur l’inscription, v. A. Andrén, in REE 34,
1966, p. 334-337, et CIE ad tit. 10588.
306
G. VAN hEEMS
qval meqlumes 92, ne pourrait être le génitif de qu. Il faudrait cependant élucider les
rapports de cette forme avec son génitif en -s présumé, qunś, qui, on s’en souvient,
ne va pas sans poser de graves difficultés formelles. Nous rappellerons d’ailleurs à ce
sujet que les numéraux supérieurs à ‘1’ font tous leur gén. en -s.
Dans le même ordre d’idées, nous terminerons par cette question : ne peut-on aller
jusqu’à analyser le fameux suffixe -qur de « collectif », utilisé très précisément pour
marquer le pluriel des gentilices 93 ou pour désigner des collèges ou des collectivités 94,
comme une formation de pluriel en -r des subst. marqués par le trait [+humain], à partir
du pronom-numéral qu désignant un ensemble unitaire d’individus (cf. lat. ūni-uersi ou
adv. ūnā) ? Selon nous, le suffixe agglutinant -qu-r sert à faire passer la base nominale
(ou, mieux, désignative) à laquelle il s’adjoint dans une classe de collectifs (peut-être
avec un sens distributif), du type X-qu-r = « l’ensemble des individus répondant à la
désignation X » ou « l’ensemble de ceux répondant (individuellement) au nom X » 95.
que l’on utilise le numéral qu comme pronom ou quasi-pronom pour désigner un
ensemble ou un élément extrait d’un tout ne sera certes pas pour étonner.
2.4.3. Ces considérations doivent, pour finir, nous conduire à reprendre
en considération l’analyse du lexème hilarquna, qui apparaît quatre fois dans la
section XII du rituel de la Momie de zagreb 96, et que l’on considère comme un dérivé
de l’adjectif hilar, très fréquent aussi dans le Liber linteus, mais employé également
dans d’autres inscriptions 97. Nous ne prétendrons pas apporter la clé pour comprendre
exactement le sens de ce lexème qui a fait couler beaucoup d’encre 98, mais nous
suggérerons simplement de prendre en compte la possibilité que la finale -qu-na soit à
analyser comme un dérivé en -na d’une forme articulée à l’aide du pronom qu.
92.
Sur l’inscription : G. Colonna, in REE 34, 1966, n. 1, p. 310-312, qui exclut cependant un rapport
avec le numéral.
93.
Ainsi dans la tombe des Claudii à Caeré (ET Cr 5.2), clavtiequr(asi).
94.
Cf. pacaqur(as), « bacchant(e)s », à Tuscania (ET AT 1.32 et peut-être ET AT 1.1).
95.
Ainsi, pour en revenir aux exemples cités aux notes précédentes, clavtiequr(asi) doit se comprendre, très
littéralement, comme « (pour) l’ensemble de ceux répondant (individuellement) au nomen clavtie » ;
de même, la formation *paχaqur désigne « l’ensemble de ceux répondant (individuellement) au nom
de paca », c’est-à-dire les bacchant(e)s, car pour nous *paca a peu de chances d’être l’étruscisation du
théonyme grec Bavkco~, comme le fait pourtant la communis opinio au moins depuis De Simone 1970,
mais bien plutôt l’emprunt, très régulier, de gr. bavkch, « la bacchante » (sans qu’il soit nécessaire d’y
voir, en étrusque, une désignation de « femmes »).
96.
Cf. ET LL XII.3, XII.5, XII.6, XII.8.
97.
Cf. ThLE I, s.v. hilar, hilare.
98.
Voir déjà le long paragraphe que consacre à ce terme Goldmann 1930, p. 253-267. que hilar est un
adjectif est prouvé par sa cooccurrence en seconde position avec des substantifs dans des syntagmes
unitaires du type ET Cl 8.5 tular hilar, « la borne hilar » ou ET LL VI.14 cilθcveti hilare, « dans les
citadelles hilar » (l’accord au loc.-instr. de hilare indique qu’il dépend de la postposition -ti, et qu’il
occupe une position subordonnée par rapport à la tête du syntagme *cilqcve-).
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
307
2.4.4. En définitive, il nous semble que les arguments étayant l’hypothèse que
qun est la forme d’accusatif de qu sont suffisamment nombreux. Comme on dispose
en outre d’un certain nombre d’éléments suggérant que ce numéral pouvait se prêter à
des emplois pronominaux 99, il est tentant de conclure que qu est un « déterminant du
nom », qui, en diachronie, a été très nettement rapproché de la catégorie des pronoms.
Le fait que certains des emplois pronominaux de qu semblent très largement lexicalisés
– la finale -qu de bon nombre de substantifs et le collectif -qur semblent en synchronie
être assez autonomes – ne modifie pas substantiellement la conclusion essentielle
qu’on en doit tirer : qu apparaît comme un déterminant du nom d’un type très différent
des autres numéraux, et finalement bien plus proche des pronoms (démonstratifs).
Bref, rien que de très normal quand on parle du premier numéral de la série.
99.
La question se pose de savoir si qu pouvait être l’équivalent de l’article indéfini : dans les exemples
mentionnés, on ne peut bien évidemment trancher entre une valeur d’indéfini (« un X ») et une pleine
valeur numérale (« un (seul) X »). Si qu se prête effectivement à des emplois enclitiques, on pourrait
poser que, lorsqu’il est tonique, il a une pleine valeur de numéral, tandis que la fonction d’indéfini
est confiée, en vertu de l’articulation, à la forme atone et clitique du même lexème. on aurait une
distribution comparable, dans une certaine mesure, à celle des emplois des démonstratifs eca et eta
(forme tonique : démonstratif vs. forme enclitique : article, i.e. démonstratif atténué).
308
G. VAN hEEMS
Annexe
Notice rédigée par M. Lejeune pour le thLe II 100
Articles pour Thesaurus II
Équipe française
1er envoi (20.02.1981)
Les termes de la numération (par M.L.) :
32 feuillets numérotés de nuM. 1 à nuM. 32
calc- : voir cealccealc- : « trente », nom de dizaine en -alc- dérivé de ci (voir ce mot) ; trois fois cialc(TLE 1.XI 17, XI 17, XII 10), cinq fois cealc- (TLE 1.IX g 2, X 2, XI 12 ;
TLE 141, 180) ; une fois celc- (TLE 144), une fois calc- (SE XLV 293).
Tous les exemples sont au cas oblique en -s, -is, -us. Dans le rituel de la
Momie, datations ciem cealcuś (IX g 2), ciem cealcuz (X 1) « le 27 » ; eslem
cialcuś (XI 17), eslem cealcus (XI 12) « le 28 » ; qunem cialcuś (XI 17 ;
XII 10) « le 29 ». Indications d’âge : avils calcis (SE XLV 293), avils cealcls
(TLE 141) « 30 ans » ; avils cis cealcs (TLE 180) « 33 ans » ; avils huqs celcls
(TLE 144) « 34 ans ».
M.L.
cezp- : un des trois numéraux, on ne sait lequel, de la série ...7, 8, 9... – Impliqué,
d’une part, par le multiplicatif cezpz, dans l’indication d’un cursus honorum :
zilcnu cezpz (« ... fois zilaq », TLE 324). – Impliqué, d’autre part, par le nom
de dizaine cezpalc-, dans des indications d’âge ; au cas direct, mac cezpalc
avil TLE 94 ; au cas oblique en ...s, avils esals cezpalcals TLE 324, avils
cezpa[ ] TLE 97.
on a supposé que cezp- est « huit », en rapprochant la glose : Xosfer Tuscorum
lingua october mensis dicitur (TLE 858) : c (ainsi faut-il entendre le X latin)
alternerait avec c, o avec e, s avec z, f avec p (-er étant suffixal). Il y a trop de
100. Le texte du manuscrit a été respecté à la lettre, dans ses conventions de translitération (pour l’étrusque
comme pour le lemnien), ainsi que dans ses indications typographiques (précisées par l’auteur selon
un code de couleurs et de signes : lettres entourées en noir avec mention « gras » pour le gras, lettres
cerclées de vert pour les caractères grecs, lettres soulignées pour l’italique, cadre rectangulaire pour
les petites majuscules). Notre seule intervention a été de disposer les notices à la suite les unes des
autres, alors que le manuscrit consacrait une page (ou plus, selon la longueur) par entrée, et de mettre
en italique les abréviations bibliographiques SE et TLE, non soulignées par M. Lejeune.
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
309
laxisme dans ces correspondances pour qu’elles convainquent. Noter que, pour
le seul autre mois latin en -ber dont on connaisse le correspondant étrusque
(Celius Tuscorum lingua September mensis dicitur, TLE 824), le terme
étrusque n’est pas de souche numérale.
M.L.
celc- : voir cealcci :
numéral « trois », figurant sur les dés de Tuscana (TLE 197 ; śa sur la face
opposée). La bilingue de Pyrgi TLE 874 rend le punique šNT šLš III « trois
ans » par l’étrusque ci avil. – Dérivé en -alc- pour « trente » : cialc-, d’où
cealc- (voir ce mot).
on a une quinzaine d’exemples de ci, au cas direct. Noter les indications de
progéniture ci clenar (TLE 98 ; 883 ; 888), clenar ci (TLE 169) « trois fils »,
huśur ci (TLE 889) « trois enfants ». Noter aussi dans le rituel de la Momie
(X 21) la locution zal eśic ci « deux ou trois ». Une fois, avec particule
enclitique -m, cim (TLE 2.4).
Cas oblique en -s dans nos exemples de nombres complexes 13, 23, ... ;
datation ciś śariś (TLE 1-VIII 1) « le 13 » ; indications d’âge avils cis zaqrmis-c
(TLE 93) « 23 ans » ; avils cis cealcs (TLE 180) « 33 ans », avils cis muvalcls
(TLE 138) « 53 ans ».
Le syntagme ci-em « il s’en faut de trois » (voir -em) préfixé à des noms de
dizaines, fournit la série 17, 27, ... Au cas oblique en -s, datations ciem cealcuś
(TLE 1-IX g 2), ciem cealcuz (TLE 1-X 2) « le 27 » ; indications d’âge avils
ciemzaqrms (TLE 166), avils ciemzaqrums (SE XXXIII 474) « 17 ans » ; avils
ciem […]alcls (TLE 894).
Multiplicatif ci-z(i) « trois fois », ainsi (TLE 99) cizi zilacnce « il fut trois fois
zilaq ». orthographes ciz (cinq exemples) et citz (deux exemples) dans le rituel
de la Momie.
M.L.
cialc- : voir cealcciem : voir ci
ciz(i) : voir ci
citz : voir ci
-em
(quatorze exemples) : particule dont nous connaissons un seul type d’emploi :
dans les numéraux complexes de structure soustractive.
Alors que de 11 à 16, de 21 à 26, etc. on constate des structures additives
(nombre des unités et nombre des dizaines apposés ou coordonnés), on constate
de 17 à 19, de 27 à 29, etc. des structures soustractives. Ainsi (au cas oblique
en -s, -is, -us) en regard de ci-s cealc-s « 33 », on a ci-em cealc-us « 27 »
(« il s’en faut de trois que ce soit trente »). L’unité du syntagme se manifeste, à
ce cas, par la présence d’une seule marque en …s, en position finale. Cependant
(sauf deux exemples de graphie continue), orthographe normale en deux mots,
avec coupe après ...em, indiquant la manière dont les Étrusques analysaient
310
G. VAN hEEMS
le syntagme (déterminant ci-em + déterminé cealcus). Il est donc clair par là
que -em ne fonctionne pas comme lat. dē- dans lat. duodēuīgintī etc. Mais la
nature et la signification précises de l’élément -em ne se laissent pas cerner.
on a, avec soustraction, respectivement de 3, 2, 1 unités, cinq exemples
de ci-em … (TLE 1 IX-g 2 et X-2 ; TLE 166, 894 ; SE XXXIII, 474-3),
cinq exemples de esl-em … (TLE 1 VI-14, XI-8, XI-12, XI-17) 101, quatre
exemples de qun-em (TLE 1 XI-17 et XII-10 ; TLE 136, 192). Sauf une
fois (TLE 1 XI8), tous ces numéraux complexes sont au cas oblique en ...s,
qu’appelle le contexte.
esal- : voir zal
esl- : voir zal
zaqrum : numéral « vingt », dérivé de zal (voir ce mot). — Dans le rituel de la Momie,
au cas direct eslem zaqrum (« 18 »), et, au cas oblique en ...s, eslem zaqrumiś
et deux fois huqiś zaqrumiś (« 24 »). – Les autres exemples (épitaphes) sont
tous au cas oblique en -(i)s : indications d’âge avils cis zaqrmis-c (TLE 93 :
« 23 ans », proprement « trois et vingt »), avils ciem zaqrms (TLE 166 : « 17
ans »), avils qunem zaqrums (TLE 192 : « 19 ans »), avils eslem zaqrums
(TLE 279 : « 18 ans »), avils macs zaqrums (TLE 325 : « 25 ans »).
De l’ordinal *zaqrum-sna, un exemple au cas oblique en -e, pour une datation
(mot « jour » sous-entendu) dans le rituel de la Momie (VI 9) : zaqrumsne
« le 20 du mois ».
M.L.
zal :
forme fondamentale du numéral « deux » ; figure : sur les dés de Tuscana
(TLE 197 ; mac sur la face opposée) ; dans une indication de progéniture
(clenar zal « deux fils » TLE 170) ; dans les locutions qu eśic zal « un ou
deux », zal eśic ci « deux ou trois », du rituel de la Momie (X 20-21) ; aussi,
dans des contextes mutilés du rituel de Capoue (TLE 2.24, 36).
Le numéral « vingt », zaqrum (voir ce mot), manifeste une forme sans -l du
même radical, devant un formant -qrum propre à ce nom de dizaine (tous les
autres, à partir de « 30 », sont des dérivés en -alc). — Mais, de plus, zal- alterne
avec esal-, esl-, et peut-être aussi avec zel-.
Le cas oblique en -s de zal est esals, dans l’indication d’âge avils esals
cezpalcals (TLE 324 ; « 72 ? 82 ? 92 ? ans »).
Dans les nombres complexes 18, 28, etc. à structure soustractive (voir -em)
figure comme élément initial esl-em (« il s’en faut de deux ») ; ainsi en TLE 279
(avils eslem zaqrums, « 18 ans »), ainsi dans le rituel de la Momie (eslem
zaqrum XI 8 et eslem zaqrumis VI 14 « dix-huit », eslem cealcus XI 12 et
eslem cialcuś XI 17 « vingt-huit »). – Même radical pour le multiplicatif esl-z
101. M. Lejeune ne donne que ces quatre exemples [NdE].
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
311
« deux fois », auprès de termes exprimant l’exercice d’une magistrature, dans
des cursus honorum : eslz zilacnqas (TLE 136), eprqnevc eslz (TLE 171).
Le nom (au cas en -s) zelarvenas d’une institution civique a été expliqué
(voir śar-) comme dérivé d’un numéral *zelar « douze » (par coalescence de
*zel+śar). – En revanche, tout à fait incertaine reste l’hypothèse que zelur
TLE 619 serait un distributif « bini ».
M.L.
zelarvenas : voir śarzelur : voir zal
huq : numéral « quatre », figurant sur les dés de Tuscana (TLE 197 ; qu sur la face
opposée) ; « quatorze » est huqzars (au cas en -s) en TLE 191 (sur ce mot,
voir śar) ; « quarante » nous est inconnu.
Cas direct huq à Tuscana (TLE 197) et dans deux autres exemples (TLE 2 ;
TLE 381). Ailleurs, cas oblique en -(i)s : deux fois huqiś zaqrumiś « 24 » dans
le rituel de la Momie ; indications d’âge avils huqs muvalcls (« 54 ans » :
TLE 142), avils huqs (« 4 ans » : TLE 143), avils huqs celcls (« 34 ans » :
TLE 144).
Une chambre funéraire de Tarquinies (SE XXX, 1962, p. 290-293 et pl. XX)
porte sur ses parois quatre figurations peintes du démon Charon, chacune
surmontée d’une légende peinte : de gauche à droite carun [ ]u[ ]e, carun, carun
cunculis, carun huqs ; voir les remarques de M. Pallottino, ibid., p. 303-304.
Le quatrième démon est donc appelé carun huqs (TLE 885), et il n’est guère
douteux que l’épiclèse renvoie au numéral « quatre », mais on ne voit pas
précisément comment ; s’agit-il (mais avec une autre valeur) de la même forme
casuelle en -s que, par exemple, dans les indications d’âge ? S’agit-il (*huqz
écrit huqs) d’un multiplicatif (« pour la quatrième fois ») ? etc.
Un rapprochement a été proposé en 1921 par Max oštir (Beiträge zur
alarodischen Sprachwissenschaft, p. 34), puis P. Kretschmer (Glotta XI,
p. 277) avec un toponyme attique d’aspect préhellénique assignable aux
Pélasges : ÔUtthniva, autre nom selon Étienne de Byzance, de la Tetravpoli~
(Marathon, Tricorynthos, oinoé, Probalinthos) ; si l’on admet que cette petite
confédération de quatre bourgades puisse être antérieure à l’hellénisation
de l’Attique (?), Tetravpoli~ serait un calque partiel d’une désignation plus
ancienne signifiant « la tétrade ». Encore faut-il marquer que ne sont évidentes
ni la correspondance entre -tt- et l’étrusque -q-, ni (puisque tout u initial est,
secondairement aspiré en grec) la correspondance entre uJ- et l’étrusque hu-.
huqzars : voir huq
qu : numéral « un » ; sur les dés de Tuscana (TLE 197 ; huq sur la face opposée) ;
dans la locution qu eśic zal « un ou deux » du rituel de la Momie (X 21). Mais
toutes les formes fléchies et dérivées reposent sur qun-. L’exemple le plus
net en est fourni par le syntagme qun-em « il s’en faut d’un » dans les noms
312
G. VAN hEEMS
de nombre complexes 19, 29, ... : qunem zaqrums « 19 » (TLE 192), qunem
cialcuś « 29 » (TLE 1-XI 17 et XII 10), qunem muvalcls « 49 » (TLE 136).
À des degrés divers de probabilité se situent les identifications proposées de
qun (TLE 1-IV 5 et IV 17), qunś (TLE 1-VI 12), quni (TLE 1-VII 17, VII 23,
X 7) comme formes fléchies de qu, et celle de qunśna (TLE 1-VI 13) comme
ordinal « premier ». Mais qunz est sûrement multiplicatif (« semel ») dans le
cursus de TLE 324 : zilcnu cezpz purtśvana qunz « il fut zilaq … fois, purq
une fois ».
M.L.
qun : voir qu
mac : numéral « cinq ». Il figure : sur les dés de Tuscana (TLE 197 ; zal sur la face
opposée) ; dans une indication de progéniture : huśur mac (TLE 887) « cinq
enfants » ; dans une indication d’âge : mac cezpalc avil (TLE 94). Autres
indications d’âge, mais au cas oblique en -s : avils macs zaqrums « 25 ans »
(TLE 325) ; avils macs śealcls-c « 65 ans » (TLE 98), avils macs semfalcls
(TLE 165).
Le nom de dizaine correspondant est muvalc (voir ce mot) ; suffixe -alc- ; le
rapport de muv- à mac- demeure inexpliqué.
M. Pallottino (SE XXIV, 1956, p. 69) a suggéré qu’à la souche mac appartiendrait
le mot mecl- dans les titulatures zilaq … mecl rasnal (TLE 87, Tarquinii),
eprqnec … mecl-um rasneas (TLE 233, Volsinii) ; ce serait un numéral
« quinze », et les titulatures évoqueraient le praetor Etruriae XV populorum
de l’épigraphie latine impériale. Mais, pour les nombres complexes de 11 à 16,
on attend des juxtaposés à second terme -śar « dix » (voir ce mot), et on en a
en effet pour « 13 », « 14 », peut-être pour « 12 ». Mieux vaut probablement
retourner à l’interprétation traditionnelle qui voit dans mecl-um une variante
de meql-um.
M.L.
mecl- : voir mac
muvalc- : numéral « cinquante », en regard de mac « cinq » (voir ce mot), la
modification du radical devant le suffixe -alc- demeurant obscure. Figure, au
cas oblique en -s, dans les indications d’âge avils qunem muvalcls « 49 ans »
(TLE 136), avils cis muvalcls « 53 ans » (TLE 138), avils huqs muvalcls
« 54 ans » (TLE 142).
M.L.
nurf- : un des trois numéraux, on ne sait lequel, de la série ...7, 8, 9... – Connu
seulement par le multiplicatif nurfzi (« ... fois ») dans un cursus honorum de
Tarquinies (nurfzi canqce, TLE 99 ; le prétérit canqce, désignant l’exercice
d’une fonction, est un hapax obscur).
M.L.
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
śa :
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
313
numéral « six » ; figure sur les dés de Tuscana (TLE 197 ; ci sur la face
opposée) ; figure, au cas oblique en -s, dans des indications d’âge : avils śas
« six ans » (TLE 193), avils XX tivrs śas « vingt ans six mois » (TLE 182 :
seule épitaphe où l’âge soit indiqué au mois près). – Dérivé en -alc- pour
« soixante » : śealc- (voir ce mot) ; probablement de *śaalc-, dissimilé en
śealc- au lieu d’être contracté (afin de maintenir à ce nom de dizaine la structure
disyllabique que présentent tous les autres ?).
Les témoignages TLE 181, 193, 197 proviennent de la région de Tarquinies,
comme TLE 98 pour śealc- ; la sifflante forte ś- y est constante. Aussi
doutera-t-on de l’identification (proposée par M. Pallottino, SE XXXII, 1964,
p. 108) de sa, sa-m (avec sifflante normale) comme « six » dans les épitaphes
de la chambre des Anina à Tarquinies, document qui, par ailleurs, présente
la sifflante forte, comme on l’attend, dans le nom śuqi de la « sépulture » ;
pour sa śuqi (TLE 882), sa-m śuqi (TLE 880), écarter l’interprétation « six
sépultures », d’autant que deux personnages (Vel fils de Vel et Larth fils de
Vel) sembleraient alors déclarer chacun avoir institué les six (mêmes ?) tombes.
– Les deux numéraux des dés de Tuscana sur lesquels on a le plus longtemps
hésité (en l’espèce, entre valeurs « 4 » et « 6 ») sont huq et śa. C’est parce
qu’on a de bonnes raisons d’identifier huq comme « 4 » (tombe des Charons),
que, résiduellement, on identifiera śa comme « 6 », et non grâce [VACAT] 102.
śar‑ : à identifier comme le numéral « dix » malgré les doutes de M. Pallottino,
SE XXIV, 1956, n. 56). Ne se rencontre qu’en juxtaposition avec le cas oblique
en -(i)s : pour « 13 » (ciś śariś, datation dans le rituel de la Momie, VIII 1) ;
pour « 14 », *** l’indication d’âge avils huqzars de TLE 191 (par coalescence
de *huqs śars).
on a supposé que śar- « 10 » et *zelar- « 12 » (coalescence de *zel śar) sont
impliqués dans les désignations de collèges civiques de « Xuiri » (*śarvena)
et de « XIIuiri » (*zelarvena) qui figurent (au cas oblique en -s) comme
déterminations de tamera « curator » dans les titulatures tamera śarvenas (TLE
170), tamera zelarvenas (TLE 172, 195).
En revanche, faute de contexte clair, c’est une ressemblance purement formelle
qui a fait conjecturer que śarśnauś, dans le rituel de la Momie, repose sur un
ordinal *śar-sna- « dixième ».
M.L.
śarvenaś : voir śarśarśnauś : voir śarśealc- : numéral « soixante », dérivé en -alc- de śa « six » (voir ce mot). Figure,
au cas oblique en -s, dans l’indication d’âge (TLE 98) avils macs śealcls-c
« 65 ans ».
102. La lacune n’a pas emporté plus d’une ligne de texte [NdE].
314
G. VAN hEEMS
À Lemnos, la stèle de Caminia, figurant un guerrier non jeune, et portant deux
versions (A, B, légèrement différentes) de son épitaphe, fournit l’indication
d’âge (A) s1ialcveis2 avis2, (B) avis2 s1ialcvis2 (s1 et s2 translitérant ici les deux
signes de sifflantes de cet alphabet). La correspondance entre lemn. avis2 et étr.
avils (on admettra *-ls > -s pour le lemnien), la correspondance entre lemn.
s1ialc- et étr. śealc- (pour ce type de flottement en hiatus, cf. étr. cialc-/cealc-),
la correspondance syntaxique des deux tours (emploi du cas en -s), sont un des
témoignages patents de la parenté des deux langues. Mais, de la portion finale
de s1ialc-veis2 (A), s1ialcvis2 (B), on n’est pas en mesure de rendre compte :
suffixation complémentaire (outre -alχ-) pour les noms de dizaines en lemnien ?
ou, dans un nombre complexe de la série 61, 62, ... postposition à s1ialc- d’un
numéral simple différent de ceux que nous connaissons pour l’étrusque ?
M.L.
semf- : un des trois numéraux, on ne sait lequel, de la série ...7, 8, 9... : au cas oblique
en ...s, indication d’âge avils semfś TLE 232. – Nom de dizaine dérivé (de la
série ...70, 80, 90...) semfalc- : au cas oblique en -s, indication d’âge avils
macs semfalcls TLE 165 (« 75 ? 85 ? 95 ? ans »).
M.L.
LIRE, ÉCRIRE, CoMPTER
: qUELqUES RÉFLEXIoNS ET hYPoThèSES SUR LE SYSTèME NUMÉRAL
315
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autour de michel lejeune (cmo 43)
Cet ouvrage réunit les contributions de linguistes spécialistes de langues anciennes qui se sont
retrouvés pour deux journées d’étude à l’Université Lyon 2, les 2 et 3 février 2006, à l’occasion
du don de la bibliothèque de travail personnelle de Michel Lejeune à la Bibliothèque InterUniversitaire de Lyon. Les intervenants, français et étrangers, ont, pour certains d’entre eux,
côtoyé le linguiste spécialiste de grec ancien et de langues rares du domaine indo-européen
et suivi ses enseignements.
Ces journées étaient consacrées, la première, à la linguistique grecque et indo-européenne, la
seconde, au latin et aux langues de l’Italie préromaine. Les diférents domaines linguistiques
abordés ici, grec ancien, grec mycénien, étrusque, langues italiques, vénète, et plus largement
la linguistique comparée des langues indo-européennes, correspondent tous à des axes de
recherche de Michel Lejeune que continuent de développer ses successeurs.
Cet ouvrage est un témoignage de reconnaissance à ce linguiste dont les travaux et les
ouvrages ont nourri et vont nourrir encore, tant par leur méthode que par leurs avancées
scientiiques, de nombreuses générations de chercheurs.
© 2009 – Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux
7 rue Raulin, F-69365 Lyon CEDEX 07
ISSN 0184-1785
ISBN 978-2-35668-009-9
9 782356 680099
Prix : 32 €